La discussion - version courte (Magazine Souche)



Quand on m’a proposé d’écrire de nouveau pour Souche (bien heureuse d’être de retour), je voulais écrire sur la situation du confinement avec la Covid-19, de l’école à la maison et du malaise face à mes questions comme : ai-je le droit de dire que l’école à la maison, je n’en peux plus? Suis-je considérée comme une mauvaise mère envers mon fiston si j’avoue publiquement que les vidéos conférences, les bricolages, la maudite trousse du gouvernement, faire du pain / des desserts… c’est trop?  Et que cette « imposition » organisationnelle est merdique?  (Il faut se le dire, c’est mal foutu l’organisation, on est pas mal laissé à nous même…)  Et, puis-je parler de cette envie de frapper la personne qui ose dire « Grâce au confinement, je prends plus de temps pour moi »?  Parce que, moi, du temps, du temps pour moi…  En fait, ça veut dire quoi au juste?  Car entre les classes virtuelles, les vidéos conférences, les devoirs à imprimer, les promenades et toutes les tâches domestiques quotidiennes, il me reste assez de temps pour dormir.  Cependant, avec les événements de Christian Cooper (Central Park et la « Karen ») et de Georges Floyd, mes interrogations ont changé de direction.

Une de mes interrogations est sur la fameuse « discussion » à avoir avec les enfants (surtout avec les fils) autre que blancs.  Ai-je le droit, la permission de dire que cette discussion ne se fera pas avec fiston?  « Ah, bien sûr, ton fils ressemble à un blanc.  Lui, il peut passer inaperçu ».  Oui, pour un métis,  il est plutôt pâle (causé par des problèmes de santé que j’expliquerai un jour mais, pour l’instant, ce n’est pas le propos).  Il aura, peut-être, la chance de ne pas connaitre ce genre de racisme.  À quelque part, ça me soulage.  Est-ce un tabou de dire ça, de ressentir un soulagement?  

L’autre raison est que cette discussion nous apprend à ne rien dire  ou le strict minimum face aux forces de l’ordre.  C’est comme ça depuis le premier noir arrivé en Amérique, c’est la même discussion :

-« Quand le Maitre te parle, te pose des questions, tu dis « Oui, non, Maitre. »  Tu fais tout ce qu’il va te demander sans rien brusquer.  Ne proteste pas ».

Pour remplacer par :

- « Quand un policier te parle, te pose des questions, tu dis « Oui, non, Monsieur l’Agent ».  Tu fais  tout ce qu’il va te demander sans geste brusque.  Ne résiste pas. »

Au fond, pourquoi avoir cette conversation avec son enfant?  Les policiers ne pourraient-ils pas simplement servir et protéger tous les citoyens comme l’exige leur métier?  Oui, c’est ça, pourquoi ne pas faire son métier correctement?  Sinon, ce n’est pas les encourager dans leur lâcheté, leur donner ce faux sentiment de contrôle?  Ai-je le droit de dire ça?


Malgré la « chance » de fiston, cela ne signifie pas qu’il ne connaitra pas le racisme.  Cela n’empêche pas aux gens de m’apostropher sur la couleur de mon fils qui ne correspond pas à la mienne.  Évidemment, devant lui, je garde le sourire sans dire grande chose.  Car, si on parle ou si on réplique, on vient de gâcher et d’entacher toute la réputation de toute la communauté non blanche.  Je n’ai pas honte de sa couleur, bien au contraire, mon fils est merveilleusement beau comme il est (il est pour vrai, sur un point de vue en général, plein de gens peuvent le confirmer) mais je suis consciente que « cette » couleur pourrait lui sauver la vie, lui sauver de la discrimination raciale.  Soyons francs, un Patrice passera avant un Patricio quand un employeur regardera un c.v.  Ai-je le droit de dire ça?  Puis-je le dire ainsi?


Je n’ai pas encore envie de lui dire que ma couleur peut être problématique pour certains (crétins!).  Mon Petit Homme va dans une école ouverte où il y a des enfants métis, ayant deux mamans  ou deux papas, où un des deux parents est en transition, etc.  Donc,  il n’y a aucune méchanceté sur ce sujet; sur d’autres, bien sûr, car c’est quand même des enfants.  Mais, pas (encore) sur la couleur de peau.    Je ne veux pas qu’il réalise que certaines personnes méprisent sa mère pour un élément qu’elle ne peut pas changer.  Au moment où il va comprendre que les gens peuvent être aussi cruels, que son regard envers moi changera et que son regard sur l’humanité changera, mon cœur de mère se brisera. Ai-je le droit d’écrire ça?



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