Il y a quoi s'arracher les cheveux - produits défrisants, l'utérus et les fibromes. (Magazine Souche)

 Avez-vous déjà vu le documentaire de Chris Rock Good Hair (2009)?  Oui, ce documentaire qui parlait de l’industrie capillaire des femmes noires en Amérique.  Dans ceci, il semblait faire un lien entre les produits défrisants et les fibromes ou d’autres problèmes entourant le système reproductif féminin.  Cependant, cette affirmation est peu expliquée et nous laisse sur notre faim.

Mais, s’il y a un lien entre ces produits et les problèmes reliés à la santé féminine, c’est inquiétant car ce sont des produits utilisés depuis des décennies.


Commençons par le commencement avant de faire une crise d’anxiété.  Il y a un mythe qui expliquerait la naissance du défrisant.  Il paraît qu’un maître d’esclaves aurait voulu mettre la tête d’un de ses “travailleurs” non-salariés dans un seau rempli de soude et les cheveux de ce dernier sont sortis souples et lisses.  Les autres esclaves, en voyant ce résultat, décident de mélanger la soude avec de la pomme de terre et des œufs.  Malgré ce fait historique non-vérifié, la paternité de ce produit miraculeux reviendrait à Garret A. Morgan (début du 20e siècle).  Mais c’est Madame Walker, la première millionnaire noire, qui développa toute une gamme de produits lissant les cheveux grâce à une campagne publicitaire agressive dans les journaux et dans la démarche appelée aussi porte-à-porte.


Revenons aux fibromes.  Le 10 janvier 2012, American Journal of Epidemiology ont réalisé une étude avec l’aide de chercheurs de l’Université de Boston et deu Harvard Medical School sur 23 580 femmes noires âgées entre 20 et 70 ans et ont été suivies pendant plus de dix ans..  Cette recherche voulait savoir s’il y a une corrélation entre les produits défrisants et les fibromes.  Pour cela, il fallait prouver la présence dans ces produits des actifs considérés comme perturbateurs endocriniens (sur la période avant la puberté).


Fibromes?

Un fibrome est une tumeur bénigne, ressemblant à une petite masse ronde, faite de tissu musculaire lisse qui se développe dans l’utérus.  Il y a plusieurs types : fibrome intramural, sous-séreux, sous-muqueux. 

Source : MSDManuals.com

 Le fibrome intramural est le fibrome le plus fréquent qui se situe dans la couche musculaire de la paroi utérine.  Le fibrome sous-séreux se situe à l’extérieur de l’utérus rattaché par un pédicule.  Le fibrome sous-muqueux, le plus rare d’entre tous, se situe sous la muqueuse et entraîne d'importants saignements.  

Source : Santé-Figaro.fr


L’illustration ci-dessus nous explique que 20% à 40% des femmes de 30 ans et plus ont des fibromes dont 30% d’elles ont des symptômes comme saignement abondant, douleur ventrale, infertilité, constipation, douleur lors des relations sexuelles et 50% des hystérectomies sont causés par des fibromes (nous parlons de pays occidentaux).


Revenons à l’étude en question.  Parmi les 23 580 femmes noires, selon l’étude,  94% utilisaient les produits défrisants.  De ces 94%, 9% d’entre-elles l'utilisaient une ou deux fois par année et 33% plus de 7 fois par année.  Plus elles les utilisent, plus les risques sont élevés d’avoir des fibromes (jusqu’à 20 fois plus de risque si la femme en met sur les cheveux plus que 7 fois  par année).  Le pourcentage s’élève encore plus s’il y a des brûlures sur le cuir chevelu.  L’étude parle aussi des produits à éviter afin de diminuer les risques comme les phtalates nommés dibutylphtalate (DBP) et diéthylhexylphtalate (DEHP).


Il est bon de savoir que, selon Manuel MSD Version, 70% des femmes de 45 ans et plus ont des fibromes mais souvent ils sont petits et sans symptômes.  Cependant, 25% des femmes blanches et 50% des femmes noires ont en elles des fibromes symptomatiques.  Le pourcentage peut être plus élevé si l’indice de masse corporelle est élevée.  


Pourquoi les fibromes?

La cause exacte des fibromes n’est pas connue.  Selon Passeport Santé (13 décembre 2021), la genèse de cette masse  serait un ensemble de facteurs génétiques, hormonaux et environnementaux.  Mais là, s’il ne semble pas avoir une causalité exacte et directe, y-a-t-il une corrélation entre les produits défrisants et les fibromes?

Dans le produit défrisant, le principal actif est l’agent alcalin qui modifie la texture des cheveux comme la kératine.  Autrement dit, le cheveu frisé devient lisse, devient un cheveu caucasien qui se veut la norme de beauté capillaire.  Le produit en tant que tel est un produit dangereux mais l’application l’est tout autant.  Il y a une raison pour laquelle il faut avoir des gants quand on l’applique afin de protéger les mains.  Cependant, comme le produit est mis directement sur le cuir chevelu, le risque de brûlures est extrêmement élevé.  Ça casse le “pattern” du cheveu lors de la repousse et cette repousse se fait plus difficilement.  En plus de tout ça, l'hydratation est plus complexe car le cheveu et son cuir ne fixent plus l’eau.  Ce qui cause l’apparence des pellicules.  



Lien / corrélation?

Le professeur Agyman Badu Akosa, pathologiste cellulaire en plus d’être consultant en bien-être pour le journal The Mirror ghanéen, explique que le produit défrisant en forme de crème est un produit chimique (oh que oui, chimique) perturbateur endocrinien, appelé EDC, qui détruit les systèmes endocriniens féminins en plus des hormones, l’oestrogène et les projections follicules.  Il dit aussi que ces fibromes sont le résultat de ces crèmes en précisant que plus on en met tôt en âge, plus c’est risqué et désastreux.

Une étude américaine sur les “dangereuses” crèmes conclut que, quand utilisées tôt dans la vie d’une jeune fille, elles provoquent des fibromes, les filles ont des pubertés précoces, elles ont des problèmes urinaires, elles ont des composants oestrogéniques qui nuisent au système hormonal et l’étude émet une hypothèse qu’il aurait un lien entre le fibrome et la crème défrisante mais il ne faut pas négliger l’hérédité africaine concernant les léiomyomes utérins. Bon, les léiomyomes sont un myome qui est une tumeur non-cancéreuse dans le tissu musculaire lisse de l’utérus.

Par contre, Antoine Petit, dermatologue de l’hôpital Saint-Louis de Paris, nous dit de faire attention à cette étude faite par ces chercheurs américains car elle démontre une faible corrélation mais pas de causalité.  Perdu entre la signification entre ces deux mots?  C’est normal.  Essayons de clarifier ces mots.  

Selon le dictionnaire Robert, la corrélation est un lien, un rapport réciproque.  Selon le même Robert, la causalité est le rapport de la cause à son effet.  Le site VoxCo définit la causalité par la relation de cause à son effet entre les variables.  Si une variable change, toutes les autres changent aussi.  Autrement dit, selon le site Toupie, la définition est la relation qui s’établit entre une cause et son effet, le lien qui les unit.  La cause est ce qui produit quelque chose, ce qui en est à l’origine.  L’effet est ce qui est la conséquence.  Est-ce plus clair?



En ce moment précis, Petit prétend qu’il n’est pas possible d’affirmer que les produits défrisants favorisent ou causent des fibromes chez les femmes noires.  La docteure Pedro-Ayaovi Essi, gynécologue-obstétricienne, va dans le même sens.  Les causes mêmes des fibromes ne sont pas encore connues.  Les défrisants ne causent pas le fibrome et l’étude met en avant la corrélation entre la masse et la crème.  Selon elle, l’étude aurait pu aller plus loin, elle démontre seulement une faible corrélation sans aucune causalité.

Malgré la bataille entre la corrélation et la causalité de tout cela , serait-il une bonne idée d’essayer de trouver des moyens de prévenir les fibromes?  Pour l’instant, il n’y a pas de chercheurs, pas d’études ou de preuves scientifiques sur la prévention.  Est-ce possible de les prévenir?  L’arrêt de l’application des produits défrisants serait-il suffisant?  L’arrêt ne pourrait pas nuir.



Qu’en est-il du défrisage capillaire et du cancer de l’utérus?


Et c’est reparti!  L’étude de Instituts américains de Santé, écrite par Alexandra White et co-écrite par Che-Jung Chang, prétend que si on utilise les crèmes défrisantes plus que 4 fois dans une année, le risque d’avoir le cancer de l’utérus vient de doubler comparément à une personne qui n’utilise pas ces crèmes.  Par contre, il faut pousser les recherches afin de bien comprendre ce résultat et avoir une bonne conclusion.

Avant de continuer, il faut comprendre que cette étude parle du cancer de l’utérus et non du cancer du col de l’utérus.  Il faut dire aussi que le cancer de l’utérus est un cancer rare qui représente seulement 3% de nouveaux cas de cancer aux États-Unis.  Malgré ce faible pourcentage, les cas augmentent significativement chez les femmes noires.

Revenons à l’étude en question.  Les chercheuses ont suivi 33 500 américaines, recrutées entre 2003 et 2009, pendant une période de 11 ans.  Parmi ces américaines, 378 ont eu un diagnostic de cancer de l’utérus.  Cela dit aussi que si la femme n’a jamais utilisé de défrisant, la chance d’avoir ce cancer avant ses 70 ans sont de 1,64%.  Pour celles qui l'utilisent fréquemment, le pourcentage monte à 4,05%.  Pour Chang, ce résultat pourrait intéresser celles qui se servent de ce produit et qui ont commencé en jeune âge.  Surtout pour les femmes noires car 60% des femmes de l’étude qui disent user de cette crème sont noires.  En plus, le taux d’incidence de ce cancer est en hausse en ce moment surtout chez la femme noire.

L’étude ne vise aucune compagnie qui vend ces produits mais révèle les produits chimiques  à proscrire et qui pourraient contribuer à l’augmentation de risque.  Voici la liste : parabènes, bisphénol A, métaux et formaldéhyde. Le formaldéhyde ou le formal est présent dans le lissage brésilien, méthode de lissage fort populaire mondialement actuellement.  Ce produit chimique est classé cancérogène cependant son taux est limité dans certains pays comme la France et le Canada depuis 2011.  Pourquoi limité?  Car, quand chauffé par le fer plat ou le séchoir et de la fumée y échappe, il est très nocif une fois inhalé (sécuritaire quand la concentration est de 0,01% ou moins). 


Comme plusieurs produits sont des perturbateurs endocriniens, il serait normal de s’attendre à constater de l’incidence sur les cancers hormonodépendants (la croissance du cancer stimulée par les hormones) car ces produits copient les agissements de l’oestrogène dans le corps.  Ces perturbateurs s’introduisent dans le corps par inhalation de la fumée faite par le fer plat et par les brûlures et/ou des lésions sur le cuir chevelu.

Cette étude a été faite afin de réclamer plus de réglementation sur ces produits.  Il faudra faire d’autres études dans ce sens afin d’approfondir et, surtout, solidifier les résultats existants.


D’ici-là, Jenny Mitchell a décidé de prendre les choses en main.  Même si l’étude de White et Chang ne vise aucune compagnie de capillaire en particulier, la publication de l’étude a donné à Madame Jenny Mitchell des éléments valables pour poursuivre civilement la compagnie L’Oréal aux États-Unis.  Madame a utilisé à plusieurs reprises le défrisant capillaire de cette compagnie et, maintenant, elle a un cancer de l’utérus.  Elle utilisera cette étude comme preuve contre L’Oréal.  Son avocat, Ben Crump, connu pour avoir travaillé sur des dossiers de bavures policières,  prétend que la plaignante a utilisé ce produit en particulier pendant 20 ans et que, à cause du cancer, elle a subi une hystérectomie.   Évidemment, cela sera une poursuite en dommages et intérêts et concerne seulement la branche américaine de la compagnie.  Si Jenny Mitchell gagne ce procès, cela créera un précédent dans le monde capillaire.  Comme dit M. Crump : “...le cas tragique de Mme Mitchell est un parmi tant d’autres pour lesquelles des entreprises ont agressivement trompé les femmes noires pour augmenter leurs profits.”




Toutes ces recherches et toutes ces études démontrent qu’il est temps d’intervenir et d’agir en faisant attention à ce qu’on met sur notre tête pour faire joli. Il faut apprendre à lire la liste des ingrédients et faire nos propres recherches.  Il faut exiger de ces compagnies de nous dire ce qu’elles mettent comme produits et des effets secondaires de ces derniers.  Que ça soit une corrélation ou une causalité, avoir les cheveux lisses vaut-il la chandelle, prendre une chance avec notre santé?  Regardez ce qu’il arrive à cette pauvre canette lorsqu’elle rencontre en contact avec ces fameux produits.  Just saying!  

Chris Rock dans son documentaire Good Hair, source : thefancarpet.com



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Sources

-TogoCheckAdmin, Preuves insuffisantes pour affirmer que les produits défrisants causent utérins, Actualités (20 mai 2022);

-Agence France-Presse, Les produits de défrisage capillaire augmentent le risque de cancer de l’utérus, Info Radio-Canada (18 octobre 2022);

-Agence France-Presse, (Washington) Une Américaine, longue utilisatrice de produits de défrisage capillaire et étant actuellement suivie pour un cancer de l’utérus, a porté plainte au civil vendredi contre L’Oréal, ont annoncé ses avocats, peu après la publication d’une étude établissant un lien entre les deux, La Presse (21 octobre 2022);

-Miss Grain de Poivre, Défrisage et fibromes utérins - comment prendre soin de ses cheveux crépus au naturel, crépueetsanscontraintes.blog4ever.com (13 octobre 2009, mise à jour 18 juillet 2020);

-Agence France-Presse, Les produits de défrisage capillaire augmentent le risque de cancer de l’utérus, Le Soleil numérique (17 octobre 2022).



  


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