Glacophobie

Ceux et celles qui me connaissent savent à quel point j'adore ma mère. Elle peut me tomber sur les nerfs comme personne mais je la considère qu'elle est la femme la plus forte au monde. Jamais au grand jamais j'aurais pu passer par toutes les épreuves qu'elle a eu. C'est la seule femme au monde qui a littéralement des couilles. Il n'y a rien à son épreuve. Rien. Sauf peut-être une chose, la glace.

Mise en situation : ma mère est née dans un pays beau et chaud appelé Haïti ou la "Perle des Antilles". L'hiver n'est qu'un concept pour elle. Un concept romantique et merveilleux. La seule fois où elle pouvait le voir était au cinéma. La neige, lorsqu'elle tombe, c'est féérique et magique. C'est comme dans le film "Love Story" (pas Loft Story) où Ali MacGraw mange de la neige posée sur les joues du beau Ryan O'Neal. Tout est parfait. Ils sont amoureux, s'amusent dans la neige, patinent et ils n'ont pas froid. Le froid... Concept si relatif. Tout ça semble si innocent.

Ma mère arrive à Montréal en octobre 1972. Elle trouve si jolies les feuilles de toutes les couleurs dans les arbres. Un peu froid, c'est tout. Après quelques mois, elle comprend que le froid et la neige sont associés pour l'éternité. C'est encore pas si mal. Tu apprends à t'habiller chaudement, te faire des repas chauds, la température avec des chiffres négatifs (quoi? la température descend en bas de zéro?). Un jour, elle glisse sur un truc qu'elle voyait seulement dans ses cocktails. L'eau glacée, ou la glace, n'a pas seulement la fonction de refroidir ton verre; elle est aussi un indicateur de température (zéro ou moins). Ce fameux jour où elle glisse sur la glace, sa vie change à tout jamais (et malheureusement, la mienne aussi). Ma mère déteste ce truc transparent, elle hait avec passion (quand la glace est par terre et non dans son verre).

Je sais, vous voulez savoir en quoi sa phobie a traumatisé ma vie. Joual vert, vous ne savez pas dans quoi vous vous embarquez.
Imaginez la scène, c'est l'hiver et il y a eu du verglas durant la nuit. Il est 6h15 le matin, je n'ai pas de cours à l'université ce matin. Je fais faire la grasse matinée mais très grasse.
Ma mère rentre dans ma chambre et tout commence :
Maman : Harmelle, comment me trouves-tu dans ces pantalons? Je parais bien ou pas?
Moi : (je n'ouvre pas les yeux) On s'en fout Maman, tu vas mettre un gros manteau. Personne verra tes fesses.
Maman : On sait jamais qui on rencontre. Toujours important de faire une bonne impression.
Moi : Tu vas prendre l'autobus. Personne s'intéresse à personne. Surtout avec les grands manteaux, tuques, bottes,...
Maman : T'as raison, je vais changer de pantalons.
2 minutes plus tard
Maman : Et puis?
Moi : On s'en fout!!! Laisse-moi dormir!!!
Maman : Je ne suis pas comme toi, je ne peux pas me promener dans les rues n'importe comment!!!
(Ce dialogue de sourd dure depuis mes 13 ans. C'est pénible et souffrant. Je vous comprends messieurs car il n'y a pas de réponses parfaits. Il est impossible de s'en sortir. Il y a toujours le risque de le payer très cher. Et ça, peu importe sa réponse. Le plus pénible est le fait que ma mère m'appelle pour savoir encore si ce qu'elle porte lui va bien même si je ne vois pas. Joual vert!!!).

Après 3 échanges de pantalons, de col-roulés et de foulards, ma mère se lance.
Maman : Vas t'habiller.
Moi : Pourquoi? Mon cours commence à 13h00.
Maman : Viens avec moi à l'arrêt de l'autobus.
Moi : Quoi? Il est 6h35 du matin, je veux dormir et je n'ai aucune raison de me lever.
Maman : Fais ça pour moi. Il y a de la glace par terre. Je ne vais pas travailler sinon.
Moi : Pourquoi moi? Demande à ton autre fille ou au vieux chnouk (mon père).
Maman : Après tout ce que j'ai fait pour toi. Je t'ai donné la vie et j'ai failli mourir pour ça et.... (à chaque fois que je ne veux pas faire quelque chose pour elle, elle me sort cette histoire vieille de 35 ans).

Alors, je m'habille et je sors dehors avec elle jusqu'à son arrêt de bus. Tout le long du chemin, elle me sert fort le bras, je peux sentir ses ongles dans ma peau malgré les épaisseurs de tissu. Elle sourit mais je vois dans ses yeux qu'elle est effrayée. Elle regarde par terre pour être sûre de mettre ses pieds au bon endroit.

On arrive enfin!!! Je reste avec elle jusqu'à l'arrivée de l'autobus. Ce geste lui permet de se calmer. Je lui dis que je l'aime et qu'il y a eu plus de peur que de mal. Elle rentre dans l'autobus et elle fait "bye-bye" de la main. J'espère qu'elle sera capable de marcher entre sa descente d'autobus et son lieu de travail.

Nous avons fait ce petit manège des centaines de fois. Je sais qu'une phobie ne s'explique pas. C'est là et ça reste longtemps. Pourtant, ma mère m'a toujours appris que la peur est là pour mieux avancer ou te paralyser. C'est à nous de choisir si on veut avancer ou rester sur place. C'est pour cette raison que je prends souvent les ascenseurs malgré ma peur. Ma mère m'a apprise à être forte dans la vie et pour ça, je la remercie.


P.S. Je suis allée chez ma mère il y a quelques jours. Elle devait faire une petite visite chez sa mère à elle. Comme son auto n'était pas déneigée, je lui ai proposé de l'emmener chez ma mammy. Comme son entrée était remplie de glace et qu'elle n'avait plus de sel, je savais qu'une préparation était nécessaire. Mon mari et moi avons donné chacun un bras pour que ma mère s'accroche bien. Ça rassurait ma mère et j'ai fini par voir dans son regard que tout les fois où je suis sortie dehors avec elle dans le froid était un signe de confiance. Pourquoi? Car elle sait que je ne la laisserai jamais tomber (peu importe le sens).

Commentaires

  1. ...confiance et gratitude dans le regard d'une mère réchauffe le coeur!
    et le vieux shnouk lui, la glace ça le laisse...froid ?

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  2. Comment ça t'a toujours été la seule à te lever pour amener mammy à l'arrêt de bus l'hiver?

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  3. Parce que tu étais incapable de te lever à temps pour aller à l'école.
    Si le chapeau te fait, mets-le. ;)

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